La sobriété énergétique, un concept pas si rétrograde
"On ne va quand même pas retourner à la bougie, ou la lampe à huile". Le cri vient du cœur, la réaction est unanime : la sobriété énergétique a mauvaise presse. Pourtant, derrière ce concept se cache une réalité bien moins rétrograde que ce qui est décrit. Parlons ensemble de sobriété, et cassons quelques idées reçues.
Quand on parle de sobriété, il ne s’agit pas d’arrêter l’alcool (même si son abus est dangereux pour la santé), mais bien de sobriété énergétique. Qu’est ce que c’est ? Définition : La sobriété énergétique "a pour objectif de faire baisser la consommation énergétique mais par une autre voie. Elle concerne le comportement des consommateurs face à leurs consommations énergétiques. Elle implique donc un changement dans les habitudes de consommation, les modes de vie et les organisations collectives". Elle se différencie de l’efficacité énergétique, qui "qualifie la performance d’un objet ou d’un système à fournir un service en termes de consommation d’énergie". Bien souvent, par "changement de comportement", beaucoup entendent retour en arrière. Alors que l’objectif est bien, pour l’instant, de conserver nos sociétés modernes.
Sobriété ne veut pas dire retour à la bougie
Si l’on prend l’exemple de l’éclairage, s’équiper d’ampoules plus performantes relève de l’efficacité énergétique. Ne pas éclairer des pièces vides , ne pas laisser des appareils allumés ou en veille de façon systématique, ou encore diminuer le niveau d’éclairage de certaines pièces : toutes ces actions qui font baisser la consommation électrique par des changements de comportement relèvent de la sobriété énergétique. Pour ces éco-gestes simples du quotidien, le changement de comportement relève essentiellement d’une question de choix individuel. Pour ce qui concerne le passage à des styles de vie plus sobres, comme de moins prendre sa voiture ou de manger des produits issus de circuits alternatifs et plus courts, le passage à l’acte est plus difficile : il s’agit d’abandonner des routines et des croyances positives véhiculées par la société de consommation. Ce passage à l’acte est la responsabilité de tous et toutes, et doit venir aussi bien des citoyens que des gouvernements ou des entreprises.
Une orientation nécessaire
Dans le contexte général actuel de la transition énergétique, s’orienter vers la sobriété est reconnu comme indispensable pour baisser les émissions de gaz à effet de serre. Selon le rapport publié par le Labo de l'ESS, "dans le cas de la France, lors du débat national sur la transition énergétique de 2015, les scénarios étudiés ont montré que seuls ceux qui prévoient une baisse de 50 % de la consommation d’énergie en 2050 permettent de respecter les objectifs de baisse d’émission de gaz à effet de serre pris lors de la COP21. C’est pourquoi la loi TECV (transition énergétique pour la croissance verte) d’août 2015 inclut des objectifs chiffrés de baisse de 20 % de la consommation d’énergie à l’horizon 2030, et de 50 % en 2050. Malheureusement, pour l’instant, les courbes de consommation ne semblent pas suivre cette orientation : en 30 ans, la consommation énergétique moyenne d’un individu en France a même triplé. La sobriété apparaît comme une solution de plus en plus incontournable pour redresser la barre". Des chiffres qui montrent le besoin de mettre en place la sobriété énergétique au plus vite, mais aussi d'autres formes de sobriétés, pour permettre une transformation globale de la société. Objectif : faire évoluer les normes sociales et redéfinir la notion de progrès.
Un autre progrès
Pour aboutir à des sociétés plus justes, plus durables et plus désirables, il faut que la sobriété transcende le seul domaine énergétique. Alors il faut repenser le progrès, non plus comme une course effrénée à la consommation, mais plutôt comme une amélioration des systèmes existants. Les améliorer pour les rendre moins impactants, sur l’homme et les écosystèmes. Redéfinir le progrès non pas en termes de croissance mais en termes de bien-être, d'épanouissement, et de satisfaction des besoins. Redonner le pouvoir au niveau local, et ne plus chercher les solutions à l’autre bout de la planète, au détriment des populations locales, invisibilisées. Et surtout redéfinir les moyens nécessaires pour y arriver : faut-il consommer de façon effrénée, jusqu’à en épuiser nos ressources ? Ou faut-il trouver une autre approche, et "revoir le socle de ce qui nous amène à faire société devient indispensable" comme l’écrit négaWatt.
"Quand on vit dans une économie qui a besoin que nous consommions toujours plus et qui utilise des moyens très efficaces pour nous persuader que c'est le chemin du bonheur, il n'est pas facile de trouver la sobriété sexy et progressiste. C'est donc de notre responsabilité collective de redorer son image et de réclamer d'autres voix de progrès." souligne Maxime P., salarié Enercoop au sein de l’équipe Services Énergétiques. Réclamer d'autres voix de progrès, revoir le socle de ce qui nous amène à faire société, ces notions font écho à un concept prédominant en 2020 : la construction du "monde d'après".
Repenser nos sociétés pour un vrai "monde d’après"
C’est l’expression qui a marqué le confinement : le "monde d’après". Les appels se sont multipliés pour faire de la relance une occasion en or de changer nos modèles de société, pour aller vers un monde plus durable, plus juste, plus raisonnable. En l’état actuel des choses, le progrès économique, et le modèle d’exploitation irrationnel des ressources qui l'accompagne, est élevé au plus haut rang des priorités, et le progrès technologique comme l'unique solution aux problèmes de la société. La reprise ne semble pas se teinter de vert comme promis.
Pire, les engagements demandés par les citoyens de la Convention Citoyenne pour le Climat sont dénigrés les uns après les autres par les autorités. Elles s’étaient pourtant engagées à appliquer ces conclusions. Mais ces concepts, tels que la sobriété, sont accusés d’être anti-progrès, et sont montrés comme des contre-exemples pour l'avenir de notre société.
La sobriété peut être perçue par certains comme étant une perte ou une limitation de notre mode de vie actuel. C’est une question de point de vue. La sobriété offre pourtant de nombreux avantages, et pas seulement sur le plan énergétique, mais aussi d’un point de vue économique, social ou sanitaire. Elle peut favoriser les liens sociaux et l’entraide ; consommer moins d’énergie pour se déplacer promeut le mouvement et améliore ainsi la santé ; consommer moins d’énergie permet aussi de réduire nos addictions à des mauvaises sources d’énergie, polluantes, dangereuses ; adapter notre consommation à nos besoins redonne du sens à ce qui est important pour chacune et chacun ; réduire sa consommation d’énergie pour se chauffer et s’éclairer permet de faire des économies financières. À chacun d’y trouver des avantages, mais une chose est sûre, la sobriété ne met pas en danger notre qualité de vie, bien au contraire.