Le volt utile : que peut vraiment l’Europe
pour la transition énergétique citoyenne ?
Enercoop et ses partenaires Alternatives Economiques, Energie Partagée et la fédération européenne REScoop.eu ont été ravis d’accueillir 120 participants lors de la soirée du 16 mai dernier sur le thème Le volt utile : que peut vraiment l’Europe pour la transition énergétique citoyenne ?
Enercoop et ses partenaires Alternatives Économiques, Énergie Partagée et la fédération européenne REScoop.eu ont accueilli 120 participants au débat du 16 mai dernier sur le thème Le volt utile : que peut vraiment l’Europe pour la transition énergétique citoyenne ?
Cet événement s’inscrivait dans le cycle de débats organisés par Enercoop « Ça deb’watt » qui a vocation à mettre en lumière des initiatives de terrain, à encourager les échanges de connaissances et d’expériences et à susciter de nouvelles envies d’engagement. Ce thème faisait suite à celui de la transition agricole traité par un premier débat sur les enjeux de transition énergétique et agricole.
A quelques jours des élections européennes, cet échange animé par Fanélie Carrey-Conte (directrice de la coopération à Enercoop), a réuni Guillaume Duval (éditorialiste chez Alternatives économiques et membre du Conseil Économique Social et Environnemental), Dirk Vansintjan (président de la fédération européenne des coopératives d’énergie renouvelable REScoop.eu), Corinne Lepage (avocate, ancienne parlementaire européenne et ancienne ministre de l'Environnement) et Charline Dufournet (chargée des relations publiques et européennes de l’association négaWatt).
Plusieurs représentants de coopératives d’énergie renouvelable ont également témoigné en vidéo ou en direct : Nuri Palmada de la coopérative Som Energia en Espagne, Jean-Baptiste Blondel du projet français Enercit’if, Siward Zomer de la fédération néerlandaise des coopératives Energie Samen ainsi que Mark Luntley du réseau britannique de coopératives Energy4All.
L’énergie, moteur de la construction européenne
Depuis plus de 50 ans, l'histoire de l'énergie est le reflet de l'histoire politique de l'Europe et de ses États membres. Au lendemain de la seconde guerre mondiale au travers des traités sur le charbon et l'acier puis sur l'énergie atomique, l'Europe a fait de l'énergie un de ses projets structurants afin de rendre la guerre entre européens "matériellement impossible".
Dans les années 1990, alors que de nombreux marchés sont encore sous monopole, l’UE et les États membres décident d’amorcer une libéralisation progressive du marché. Cela conduit notamment en France à l’ouverture du marché de l’électricité et la naissance d’Enercoop en 2004. Aujourd’hui, l’énergie reste un axe essentiel de l'UE pour honorer ses engagements dans la lutte contre les changements climatiques.
Charline Dufournet de l’association négaWatt, après avoir présenté le projet de scenario européen de transition énergétique à horizon 2050, a souligné ainsi l’importance du niveau européen dans la prise en compte des problématiques énergétiques. Les systèmes énergétiques des différents États membres ne doivent plus être pensés en silos car les décisions prises au niveau national ont forcément des impacts sur les pays voisins. De plus, elle a souligné le potentiel que représente l’optimisation des trajectoires nationales en terme d’investissement, d’infrastructures ou de transformation du secteur industriel. Enfin, pour la représentante de négaWatt l’intérêt d’une approche européenne de la transition énergétique est également politique puisqu’il faut aussi s’interroger sur ce que la transition énergétique peut apporter à l’Europe : sur fond de crise climatique, économique et sociale, ce sujet peut être fédérateur et relancer le projet de construction européenne.
L’émergence du modèle coopératif dans le secteur énergétique européen
Or, comme l’a rappelé Fanélie Carrey-Conte, à contre-courant des dynamiques de centralisation et de privatisation en France et ailleurs, les coopératives énergétiques ont mis en évidence depuis le XIXe siècle un modèle résilient, local et durable en développant des projets d'énergie renouvelable et d'économie d'énergie aux mains des citoyens. Répondant au départ à la vague d’électrification des territoires européens, les systèmes sont d’abord majoritairement décentralisés et les moyens de production d’électricité de petite taille. Au début du XXe siècle, les premières coopératives d’énergie sont souvent issues du besoin de mutualiser les ressources. Car si dans les villes les moyens financiers sont facilement mobilisés par des investisseurs privés qui y trouvent une rentabilité, dans les zones rurales ou isolées, c’est en général les pouvoirs publics ou les coopératives qui viennent pallier à ces besoins.
Cela évolue dans le temps, et notamment pendant l’entre-deux-guerre où les besoins et les dimensions des installations s’accroissent drastiquement. Après la Seconde Guerre mondiale, la production, la distribution et la fourniture d’énergie sont devenues des enjeux stratégiques majeurs pour l’économie de tous les pays du continent. La plupart des États européens centralisent les systèmes énergétiques autour de moyens de production de très grande échelle et non-renouvelable (le nucléaire ou le charbon par exemple).
La 2e phase de développement du mouvement des coopératives d’énergie est plus récente. Elle apparaît principalement en réponse à différentes crises (économique, sociale, environnementale) et on observe que son émergence est souvent en lien avec des mouvements militants ou en réaction à des systèmes énergétiques soit trop centralisés, soit dominés par de très gros acteurs privés.
A l’heure actuelle, plus de 3400 coopératives d’énergie renouvelable sont recensées en Europe, ayant des activités de production, de fourniture, de distribution d’électricité ou développant des services d’économies d’énergie. La libéralisation du marché de l’énergie suite à la transposition des différentes directives européennes a joué un rôle déterminant pour le mouvement coopératif d’énergie renouvelable. Néanmoins, comme l’a expliqué Dirk Vansintjan, le succès des coopératives d’énergie est assez inégal en fonction des pays : en Allemagne par exemple dès les années 1970 une loi permet le développement des investissements coopératifs dans le secteur, alors qu’en Espagne, la réglementation récente y avait mis un frein brutal.
Fin 2018, le projet d'Union de l'énergie porté par la Commission européenne a abouti au "paquet énergie propre", qui regroupe plusieurs textes revisitant entre autres les politiques sur les énergies renouvelables, l'efficacité énergétique et le marché de l'électricité. Avec le soutien des mouvements citoyens et des coopératives d'énergie renouvelable à travers le continent, en particulier suite au travail de la fédération REScoop.eu à Bruxelles, ces textes instituent pour la première fois la notion de communautés énergétiques citoyennes et renouvelables. Dirk Vansintjan a ainsi souligné le fait que « pour la première fois, nous ne sommes plus de simples consommateurs, mais on parle de nous en tant que citoyens ayant le droit de participer au système énergétique ».
Ces communautés énergétiques pourraient en effet être un vecteur considérable pour le développement des initiatives citoyennes en Europe. Cependant, la marge de manœuvre laissée aux États membres pour la transposition en droit interne reste très large.
La singularité du cas français
Suite à la présentation par Jean-Baptiste Blondel de l’exemple français Enercit’if, projet citoyen de toitures photovoltaïques porté par une initiative francilienne, plusieurs questions se posent pour le développement de l’énergie citoyenne en France : est-ce via l’échelle européenne que seront soutenus ces types de projets ? Comment mettre en avant leur plus-value environnementale et sociale face à des projets portés par des acteurs privés ?
En réaction à cela, Guillaume Duval a évoqué le fait que, la France étant le deuxième pays d’Europe le plus en retard par rapport aux objectifs de transition énergétique fixés pour 2020, sa situation est singulière face à ses voisins. Les freins qui existent à la décentralisation du système énergétique et au développement des projets d’énergie renouvelable citoyens français sont davantage du fait des réglementations nationales ou de la posture des acteurs historiques français que de celui de l’application d’une politique européenne. Pour lui, plusieurs mesures indispensables sont à prendre au niveau français afin de soutenir les projets décentralisés, comme l’adaptation des mécanismes de soutien.
Selon Dirk Vansintjan au sujet des projets citoyens face aux acteurs privés : « nous sommes des cyclistes et nous voulons maintenant une piste cyclable ». Il faut aujourd’hui faire en sorte que la reconnaissance des projets portés par les citoyens soit intégrée dans les politiques nationales, comme c’est le cas aux Pays-Bas par exemple où un objectif d’énergie citoyenne a été fixé d’ici à 2030, pour que 50 % des installations d'énergie renouvelable soient détenues par les citoyens (hors installations en mer).
Par ailleurs, Corinne Lepage a elle aussi insisté sur cette singularité française concernant notamment la question du nucléaire et dénonce « l’orientation politique suicidaire » prise dans la Programmation pluriannuelle de l’énergie à ce sujet. Elle a expliqué que selon elle, le développement de l’auto-consommation individuelle ou collective était justement un moyen de s’éloigner enfin du nucléaire. Pour l’ancienne députée européenne, il faudrait instituer un objectif de projets d’énergie citoyenne au niveau européen afin de soutenir leur développement dans tous les pays de l’UE.
Guillaume Duval a complété en indiquant que le nucléaire n’est dans tous les cas plus économiquement compétitif avec l’énergie renouvelable. Néanmoins, cette question reste cruciale pour la France dans les années à venir. Il a en outre insisté sur le fait que si un objectif européen d’énergie citoyenne pouvait être intéressant, cela risquait de se mettre en place trop lentement. Il faut d’après lui trouver d’abord des leviers au niveau national, entre autres via la transposition des nouvelles directives européennes en droit français.
Corinne Lepage a insisté sur le fait qu’il fallait aussi veiller à avoir des objectifs à court terme, pas seulement à horizon 2030 ou 2050 et refuser impérativement les décisions qui augmenteraient les émissions de gaz à effet de serre ou qui détruiraient la biodiversité.
Le président de REScoop.eu a conclu par un appel à planifier cette transition énergétique, sans pour autant laisser les enjeux économiques prendre le pas sur les problématiques sociales et environnementales que portent au quotidien les acteurs de l’énergie citoyenne en France et en Europe. Enercoop et ses partenaires suivront ainsi de près chaque étape de la transposition de ces nouveaux textes européens. To be continued...