Retour sur le débat Robin des Watts Les énergies renouvelables, leviers de solidarité contre la précarité
Le 10 juin dernier, à l’occasion de son Assemblée Générale, Enercoop organisait au Pan Piper, à Paris, un débat sur un thème qui lui tient à cœur : la lutte contre la précarité énergétique et plus précisément la manière dont les énergies renouvelables peuvent contribuer à cette lutte.
Après avoir fait le parallèle avec le combat de Robin des Bois qui, dans la forêt de Sherwood, soulève une armée pour lutter contre les inégalités, Béatrice Delpech a animé les échanges. Le débat a ainsi été l'occasion d’échanger sur la manière dont les filières des énergies renouvelables, dans un contexte de développement massif des ENR et de crise énergétique, peuvent jouer un rôle central pour contribuer à réconcilier transition énergétique et justice sociale, aux niveaux national et local.
Retour sur le débat qui a rassemblé Lucie Mendes, Coordinatrice du programme Énergie Solidaire Occitanie, Michel Gioria, Délégué général de France Énergie Éolienne, Loïc Blanc, Co-porteur d’Enercoop Midi Pyrénées, Stéphanie Lacombe, photographe et autrice de l'exposition "En résistance contre le froid" et Béatrice Delpech, Directrice générale adjointe d’Enercoop National.
Précarité énergétique, de quoi parle-t-on ?
Béatrice Delpech a commencé par rappeler le cadre général de la précarité énergétique et les principaux chiffres.
« Est en situation de précarité énergétique une personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat » selon la définition donnée dans la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement.
En 2022 d’après l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE) :
- 22 % des Français⋅es déclarent avoir souffert du froid au cours de l’hiver 2021-2022 , pendant au moins 24h, (contre 20 % l’hiver précédent). Pour des raisons financières pour 37 % d’entre eux.
- 11,9 % des Français⋅es les plus modestes – soit plus de 3 millions de ménages – ont dépensé plus de 8 % de leurs revenus pour payer les factures énergétiques de leur logement.
De nombreuses données chiffrées montrent que la précarité énergétique concerne des profils très variés :
- locataires du parc privé comme du parc social et propriétaires occupants
- des jeunes de plus en plus fragilisés : 30 % des 18-34 ans déclarent avoir souffert du froid en 2021 (source : médiateur national de l’énergie, 2021) et 46 % d’entre eux déclarent avoir des difficultés à payer leurs factures en 2021 ;
Après avoir posé le paysage de la précarité énergétique en France, Béatrice Delpech a rappelé les raisons de la croissance de ce phénomène. Le gouvernement annonçait 4,8 millions de passoires thermiques en 2022, bien en deçà des 7,2 Millions recensés par l’office national de la rénovation énergétique et, s’il existe des dispositifs d’aide à la rénovation pour les ménages en précarité, ceux ci montrent plusieurs limites, comme l’a récemment souligné le rapport de la Fondation Abbé Pierre sur l’état du mal-logement 2023 qui cite notamment :
- une stagnation du nombre de logements rénovés autour de 45K en 2021 contre un objectif de 70 à 100K ;
- une grande complexité des mécanismes d’aide au niveau national et un montant d’aides publiques insuffisant avec notamment des plafonds de travaux déconnectés des réalités sur les chantiers de rénovation complète ce qui se traduit par des restes à charge très éloignés des 10 % annoncés (33 % pour les ménages très modestes, 52 % pour les ménages modestes).
Mais au-delà de ces chiffres, la précarité énergétique est une réalité vécue par de nombreux foyers que la photographe Stéphanie Lacombe, présente lors du débat, a souhaité rendre visible à travers son exposition « En résistance contre le froid », réalisé en 2015 avec le soutien de la Fondation Abbé Pierre et qui est toujours tristement d’actualité. À travers ses clichés saisissants, sur lesquels elle a pu revenir de vive voix le 10 juin, elle est parvenue à mettre en image « ce froid qui paralyse, anesthésie » comme elle le décrit.
© Stéphanie Lacombe
National ou local, telle est la question – zoom sur les outils mis en place par Énergie Solidaire et Enercoop Midi-Pyrénées
Énergie Solidaire, représenté par Lucie Mendes lors du débat, se positionne comme un outil au service de la lutte contre la précarité énergétique dans le logement : c’est un fonds de dotation qui existe au niveau national depuis 2017. Son activité consiste à récolter des dons et à les redistribuer via des appels à projets à des associations d’intérêt général, toutes ayant le point commun d’accompagner les ménages en précarité énergétique.
« Un des objectifs d'Énergie Solidaire est donc de fédérer un grand nombre d’acteurs autour de cette vision globale de la transition énergétique afin d’assurer une meilleure efficacité d’action contre la précarité énergétique dans le logement » conclut Lucie Mendes.
Pour ce faire, Énergie Solidaire collecte des dons de différentes façons :
- les dons financiers « classiques » par des particuliers ou des professionnels ;
- les dons d’énergie : excédents de production pour les producteurs d’énergies renouvelables ou surplus d’autoconsommation collective pour les collectivités cédés gratuitement à la coopérative Enercoop qui transforme l’énergie en valeur monétaire et reverse l’argent à Énergie Solidaire ;
- les micro-dons sur consommation d’énergie pour les clients d’Enercoop, qui peuvent choisir de donner 1 centime, ou plus, par kWh consommé ;
- les primes fléchées ou Actions de Transition Énergétique et Citoyenne (ATEC) qu’Enercoop octroie à certains de ses producteurs d’énergies renouvelables et que les producteurs doivent reverser à des actions de transition énergétique et citoyenne, parmi lesquelles, Énergie Solidaire.
« C’est via ces différentes formes de dons que les acteurs des énergies renouvelables (producteurs, développeurs, fournisseurs, consommateurs) concourent au modèle économique d'Énergie Solidaire », précise Lucie Mendes. Alors que les subventions publiques vont en décroissant, ces dons représentent pour le fonds de dotation des sources de financement stables chaque année.
Enfin, Lucie Mendes est revenue sur l’une des clés pour lutter efficacement contre la précarité énergétique : l’ancrage local. C’est la raison pour laquelle le programme Énergie Solidaire Occitanie a récemment été lancé (2023), soutenu par la Région Occitanie, avec l’objectif de convaincre les entreprises occitanes de contribuer à cette transition énergétique juste et solidaire. Raison pour laquelle le fonds de dotation a lancé un modèle de mécénat basé sur le 1 % pour la planète : le “1 % pour la préca”, incitant les futurs mécènes à reverser 1 % de leur chiffre d’affaires. Enercoop Midi-Pyrénées, en plus d’encourager la création du programme occitan, donne l’exemple en versant 1 % du chiffre d’affaires issu de la production de ses 13 installations d’énergies renouvelables depuis le 1er janvier 2023.
Représentée lors du débat par Loïc Blanc, Enercoop Midi Pyrénées, créée en 2015 et portée par plus de 4000 sociétaires, est l’une des coopératives du réseau Enercoop. La coopérative a notamment une activité de production d’électricité avec 6 MWc en opération, soit 13 petits parcs photovoltaïques au sol en exploitation et 9 prêts à construire.
Loïc a pu mettre l’accent sur le rôle central que peuvent jouer les acteurs de l’énergie dans la lutte contre la précarité énergétique, au premier rang desquels les producteurs et les fournisseurs d’énergie. Le fournisseur Enercoop Nationale tente par exemple de mettre en place un tarif solidarité malgré les difficultés que cela représente. L’un des principaux défis, en tant qu’acteur opérant à la maille nationale, est l’identification des bénéficiaires d’un tel tarif. Loïc a ainsi insisté sur l’importance de se reposer sur des acteurs sociaux et réseaux locaux, rejoignant ainsi les conclusions de Lucie.
Pour lui, les producteurs doivent intégrer la question de la solidarité dès la conception des projets EnR. Le secteur des énergies renouvelables est suffisamment rentable pour flécher directement une partie de la production vers Énergie Solidaire. Loïc insiste sur le fait que l’écosystème de l’énergie citoyenne est un levier majeur compte tenu de l’ancrage territorial qui permet une meilleure appropriation des enjeux de la précarité énergétique. Le don d’énergie est un axe intéressant pour lier production et consommation, ou comment un collectif citoyen qui produit des EnR peut aussi s’emparer de la finalité de sa production de KWh, dont une partie peut ainsi faciliter les actions d'Énergie Solidaire sur leur territoire de production. Dans une dynamique globale de décentralisation de la question énergétique, Loïc estime que cela prend de plus en plus de sens.
Bouclier tarifaire et contribution des ENR : quelles leçons tirer de la crise énergétique ? - Zoom sur le retour d’expérience de FEE
France Energie Eolienne, qui rassemble les professionnels de l’énergie éolienne en France, était également présente dans le panel, représentée par son délégué général, Michel Gioria. Ce dernier est revenu sur les raisons pour lesquelles un syndicat d’industriels se saisit de questions sociétales : la volonté d’avoir une approche systémique de la transition énergétique et la conviction que la lutte contre la précarité énergétique fait partie intégrante de la question. C’est la raison pour laquelle FEE et Énergie Solidaire souhaitent mettre en place un partenariat à l’échelle de l’Occitanie pour que les adhérents occitans de la Fédération puissent soutenir l’action locale d’Énergie Solidaire.
Michel Gioria est tout de même revenu sur le fait que la concrétisation d’un tel partenariat par une Fédération nationale n’est pas exempte d’obstacles, en particulier en période de crise énergétique. En effet, force est de constater, selon Michel Gioria, que le bouclier tarifaire mis en place à l’échelle nationale par l’État a laissé des traces : largement alimenté par les revenus issus des énergies renouvelables (via une taxation sur les revenus des producteurs), le bouclier était peut-être égalitaire mais absolument pas équitable. Les ménages les plus précaires n’étaient en effet pas plus ciblés que d’autres, moins dans le besoin. L’« absurdité » du fonctionnement du bouclier amène ainsi certains acteurs à être plus réticents que par le passé à alimenter d’autres projets d’ordre sociétal.
Tout comme Loïc et Lucie, le délégué général de FEE est convaincu que la meilleure échelle pour mettre en place des dispositifs d’aide alimentés par les revenus issus des énergies renouvelables est le niveau local afin de cibler au mieux les besoins, à rebours du fonctionnement du bouclier tarifaire.
Rêvons encore un peu dans la forêt de Sherwood
Avant de laisser repartir les intervenant⋅es, Béatrice Delpech leur a demandé quel serait leur vœu s’ils avaient la possibilité d’en formuler un.
Pour Lucie Mendes, « notre volonté serait d’essaimer des programmes en région pour territorialiser notre action et générer des cercles vertueux à l’échelle des territoires. Notre projet pourrait faire valoir ce triptyque : local, social et environnemental. ».
Stéphanie Lacombe espère pour sa part que l’art, et en particulier le travail de photographe, continue à attirer l’attention du public et contribue à faire changer les choses.
« Je souhaite que la collaboration entre Énergie Solidaire et FEE puisse être longue et fructueuse » a pour sa part soutenu Michel Gioria.
De son côté, Loïc a rappelé : « Que l’on soit producteur ou consommateur, je souhaite que chacun d’entre nous, à son échelle, participe à cette juste cause grâce à l’action d’Energie Solidaire. Nous avons pour cela des outils et leviers simples et efficaces. »