Débunkons les idées reçues en faveur du nucléaire - Episode 7 : “ Les déchets nucléaires ce n’est pas un problème, on sait les gérer ”
Quand on parle d’énergies renouvelables (EnR) et de nucléaire, un certain nombre d’idées reçues circulent et ont parfois la peau très dure. Cet été, Enercoop vous propose une série d'articles pour y voir plus clair. Elle va ainsi s'attacher à démystifier - ou débunker - les idées reçues en faveur du nucléaire. Aujourd'hui, lumière sur les déchets nucléaires.
La quantité de déchets et matières radioactives actuellement entreposés est considérable, bien que, précisons-le, l’essentiel de la radioactivité soit concentrée dans une petite quantité de ces déchets. Néanmoins, une approche se focalisant uniquement sur le volume de ces déchets n’est pas représentative des enjeux que leur gestion impose et minimise leur dangerosité.
La distinction entre matières radioactives et déchets n'est pas évidente. Elle est fondée sur l’hypothèse que les substances considérées comme “matières radioactives” pourront être valorisées à l’échelle du siècle. Cette classification repose donc sur la capacité de la filière du recyclage à absorber à court ou moyen terme un flux et un stock de matières considérables. Si en théorie 96 % des combustibles usés sont actuellement considérés comme recyclables, la filière n’en ré-utilise qu’une infime partie, environ 1 % seulement. La seule option de ré-utilisation, le combustible MOX, pose des questions sur le plan écologique et en matière de sûreté. De plus, il ne joue qu’une fonction très résiduelle du point de vue de son utilité face au volume de matières déjà accumulé et aux projections à venir. La filière est de ce fait incapable, à court ou moyen terme, d’absorber ces quantités. En attendant, ces matières radioactives continuent de s’accumuler sans autre solution. Cette inefficacité appelle donc à requalifier une grande partie des stocks de matières radioactives en déchets radioactifs. C’est en tout cas ce que l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire) a appelé à faire.
La filière compte toutefois sur des perspectives à plus long terme, qui sont pourtant hautement hypothétiques. Ces perspectives présentées comme des solutions semblent difficilement réalisables puisqu’elles reposent sur de très nombreuses inconnues et ne répondent en aucun cas au fond du problème. Elles permettent néanmoins d’entretenir le mythe de la fermeture du cycle nucléaire qui inscrirait la filière dans une logique de durabilité. Cela a pour effet de légitimer la production d’énergie nucléaire, en continuant à produire des déchets nucléaires pendant encore des décennies, et a fortiori dans le cas d’une relance d’un programme nucléaire. La solution rationnelle et de précaution serait de limiter cette problématique de la gestion des déchets en sortant progressivement du nucléaire, tout en cherchant activement des solutions viables pour les stocks actuels. Par ailleurs, il n’existe aujourd'hui pas de solution satisfaisante et viable pour le stockage des déchets les plus radioactifs. L’option du stockage en couche géologique profonde (projet Cigéo) présente aujourd’hui de trop lourds risques en matière de sûreté et de réversibilité. La recherche d’autres options pour les déchets existants doit être entreprise, faute de quoi ce qui est présenté comme une solution aujourd’hui pourrait être une problématique ingérable pour les générations futures.
☞ Point de clarification : qu’est ce qu’un déchet nucléaire ? :
- On appelle par abus de langage “déchet nucléaire” les déchets et matières radioactifs générés tout au long du processus qui conduit à la production d’énergie nucléaire et lors des étapes de “recyclage” et de stockage.
- Ce processus comprend différentes phases : en commençant par l’extraction de l’uranium naturel dans des mines, qui subit ensuite un certain nombre de transformations chimiques et une phase d’enrichissement afin d’atteindre un niveau de concentration suffisant pour faire marcher les réacteurs. L’uranium se nomme alors “oxyde d'uranium” (Uox). Avec ce combustible et d’autres composés, on fabrique ce qu’on appelle des “assemblages combustibles”. Ceux-ci sont introduits dans les réacteurs nucléaires afin de générer une fission nucléaire qui produit une grande quantité d’énergie, ensuite transformée en électricité. Après 3 à 5 années d’utilisation, le combustible usé entame une phase de refroidissement dans de grandes piscines, puis une phase dite de “retraitement”, pour être en partie réutilisé, et est finalement stocké.
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La distinction entre matière et déchets radioactifs repose sur le fait que les premières sont jugées “valorisables”, tandis que seconds ne le sont pas.
Le Code de l’environnement établit en effet une distinction entre les “matières radioactives” et les “déchets radioactifs”. Dans le premier cas on considère qu’“une utilisation ultérieure est prévue ou envisagée” (1) pour les combustibles usés, c’est-à-dire qu’on estime que leur potentiel énergétique est valorisable immédiatement ou à l’horizon d’une centaine d’années, tandis que dans le second cas “aucune utilisation ultérieure n’est prévue ou envisagée”. Cette distinction ne dépend donc pas du niveau de radiotoxicité mais de la possibilité, avec les méthodes actuelles ou disponibles dans un avenir proche, de réutiliser ces combustibles usés. Ainsi, les matières radioactives, et particulièrement le plutonium, restent extrêmement radiotoxiques.
☞ Remarque :
Il existe différents types de déchets radioactifs en fonction de leur période radioactive (c’est-à-dire le rythme de décroissance de leur radioactivité) et de leur niveau d’activité radioactive (c’est-à-dire le type et l’intensité de leurs rayonnements). Voici les différentes catégories selon l’Andra(2) (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) :
Déchets de haute activité (HA) :
- ce sont les plus radioactifs.
- leur durée de radioactivité s’étend jusqu'à plusieurs centaines de milliers d’années.
- ils sont principalement issus du retraitement du combustible usé.
- on envisage en France de les stocker en couche géologique profonde (projet Cigéo).
Déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL) :
- ils ont une activité radioactive moyenne.
- leur durée de radioactivité s’étend jusqu’à plusieurs centaines de milliers d’années.
- il s’agit majoritairement de déchets de structures métalliques entourant les combustibles (coques et embouts) issus du retraitement du combustible usé.
- on envisage également de les stocker en couche géologique profonde (projet cigéo).
Déchets de faible activité à vie longue (FAVL) :
- Ils ont une activité radioactive faible.
- leur durée d’activité est considérée comme longue voire très longue (jusqu’à plusieurs centaines de milliers d’années).
- ils regroupent : des déchets de graphite provenant du fonctionnement et du démantèlement des premières centrales nucléaires, d’autres types de déchets tels que certains colis de déchets anciens conditionnés dans du bitume, des résidus de traitement de conversion de l’uranium , des déchets d’exploitation de l’usine de retraitement de La Hague…
- leur stockage est à l’étude.
Déchets de faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VC) :
- leur activité est considérée comme faible voire moyenne.
- leur durée d’activité est “courte” (jusqu’à environ 300 ans)
- ils sont principalement issus du fonctionnement (traitement des effluents liquides ou filtrations des effluents gazeux, etc.), de la maintenance (vêtements, outils, gants, filtres, etc.) et du démantèlement des centrales nucléaires, des installations du cycle du combustible, des centres de recherche.
- stockage en surface existant
Déchets de très faible activité (TFA):
- leur activité est très faible
- leur durée d'activité est non déterminante,
- ils sont majoritairement issus du fonctionnement, de la maintenance et du démantèlement des centrales nucléaires, des installations du cycle du combustible, des centres de recherche. Les déchets TFA se présentent généralement sous la forme de déchets inertes (béton, gravats, terres, etc.), de déchets métalliques ou plastiques.
- stockage en surface existant.
☞ Le volume de déchets radioactifs fin 2021(3) est d'environ 1 760 000 m3 , en hausse de 60 000 m3 par rapport à fin 2020.
☞ Il faut néanmoins regarder la répartition des volumes de déchets selon leur niveau de radioactivité
- Les déchets les plus radioactifs (HA) et les déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL), dont l’activité s’étend sur plusieurs centaines de milliers d’années, concentrent plus de 99 % de la radioactivité mais ne concernent que 3 % du volume total de déchets.
- 97 % des déchets radioactifs sont des déchets radioactifs de faible et moyenne activité à vie courte (jusqu’à 300 ans) et des déchets à très faible activité, et ne concentrent que 0.0301 % de la radioactivité totale des déchets.
☞ La filière nucléaire communique volontiers sur des ordres de grandeurs afin de minimiser le volume et la toxicité des déchets radioactifs :
Les déchets radioactifs de haute activité (HA) représentent moins de 200 m3 de déchets par ce qui équivaut“ 5 grammes par an et par habitant” c’est-à-dire le poid d’une pièce de 20 centimes ”(4) :
- Cette comptabilité en poids est trompeuse car elle masque toute la dangerosité contenue dans ces 20g.
- France Nature Environnement (5) explique en effet que lors d’une enquête publique de 1997, il avait été calculé que chaque fois qu’on stockerait 28m3 de déchets radioactifs, on stockerait l’équivalent de toute la radioactivité qui s’était échappée de Tchernobyl.
- Aussi, prendre l'image de la pièce, objet commun, petit et inoffensif, déforme ainsi la perception du risque que représente même une très petite quantité de déchets.
On peut stocker les déchets de Haute Activité (HA) dans une seule piscine olympique :
- Les déchets de Haute Activité (HA) représentent seuls un peu plus d’une piscine olympique (qui représente environ 2 500 à 3 500 mètres cubes d’eau), si l’on ne prend pas en compte le volume des contenants qui permettent d’entreposer ces déchets. Néanmoins, l’image de la piscine olympique biaise la représentation du grand public sur la dangerosité que représente de tels déchets.
- De plus, ce n’est pas pertinent de prendre uniquement en compte les déchets Haute Activité (HA) sans inclure les déchets Moyenne Activité à Vie Longue (MA-VL). Ils ont des durées de vie similaires et des niveaux de radioactivité très élevés et de ce fait il est prévu de les stocker de la même manière, c’est-à-dire en couche géologique profonde. En prenant en compte ces deux types de déchets, on arrive à près d’une quinzaine de piscines olympiques fictives, et pour cela il est prévu de construire un site de stockage à 500 mètres de profondeur, composé de 270 kilomètres de galeries, soit l’équivalent du métro parisien sous la Meuse.
- Nous le verrons dans l’idée reçue n°3, le stockage des seuls déchets les plus radioactifs n’a toujours pas trouvé de solution fiable et viable et représente un défi considérable.
- Pour avoir une petite idée de ce que représente la quantité de matières et déchets radioactifs stockés actuellement : voici une vidéo de Greenpeace prise par drône.
☞ Remarque :
Si ce sont les déchets radioactifs qui concentrent l’essentiel de la radioactivité du combustible usé, les matières sont elles aussi radioactives. Le plutonium par exemple, qui est créé lors de la réaction nucléaire dans les réacteurs, est “très radiotoxique” puisqu’il émet des rayonnements alpha “particulièrement nocifs” selon les mots de l’ASN (6). A titre de comparaison, il est 1 million de fois plus radioactif que l’uranium naturel. Il présente comme l’uranium un risque de criticité (7), c’est-à-dire un risque de démarrage d’une réaction en chaîne.
La quantité de déchets radioactifs est sous-estimée : L’Agence de sûreté nationale (ASN) a demandé à ce qu’une partie considérable des matières radioactives soit requalifiée en déchets radioactifs, faute de débouchés en matière de recyclage :
- En octobre 2020 (8) et en février 2023 (9), l'ASN a alerté sur le sujet, en demandant que l’uranium appauvri soit requalifié en déchet radioactif car la consommation de l’ensemble des quantités existantes est “irréaliste” avec les filières de valorisation envisagées à l’échelle du siècle. Cette demande de requalification vise aussi l’uranium de retraitement, les rebuts MOX, le plutonium séparé, les boues de diuranate de potassium, les matières uranifères recyclables, etc”..
Bilan des stocks de matières radioactives (en tML- tonnes de métal lourd)
- Dès lors, d’après le tableau ci-dessus : ce sont 321 000 tonnes d’uranium appauvri (produit par les activités d’enrichissement de l’uranium), 32 700 tonnes d’uranium issu du retraitement, 8 570 tonnes de thorium et 58 tonnes de plutonium qui devraient être requalifiées en déchets radioactifs.
- Néanmoins, cette requalification n’a pas encore eu lieu. Or, cela a aussi pour conséquence de fausser l’analyse des instances officielles, qui cherchent des solutions pour stocker dans la durée les volumes de déchets mais ne prévoient pas de faire de même pour les “ matières ” puisque celles-ci sont, par définition, amenées à disparaître.
Il faut également prendre en compte les importantes quantités d’éléments radioactifs issus des mines d’uranium (en France et à l’étranger) qui ne sont pas comptabilisés comme matières radioactives (10) :
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En France on compte plus de 200 millions de tonnes de résidus issus de l’extraction de l’uranium :
Sur le territoire métropolitain, on compte environ 250 gisements qui ont été exploités entre 1947 et 2001 (11). Ils ont laissé 51 millions de tonnes de résidus radioactifs stockés sur place et 170 millions de tonnes de roches stériles, extraites pour accéder à l’uranium, qui sont contaminées par des métaux lourds radioactifs. Ces roches stériles ont été entreposées sur place ou réutilisées sans précaution particulière pour la construction de plateformes, chemins, routes, parkings et bâtiments. Si ces roches sont de faible ou très faible activité radioactive, elles contiennent néanmoins des résidus de traitement de l’uranium et du thorium engendrant selon la CRIIRAD (Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité) “une exposition par irradiation”. C’est ainsi que la CRIIRAD avait relevé un taux de radiation 6 fois supérieur à la normale à l’endroit d’un centre de loisirs (12), exposant par là même ses usagers.
Une pollution disséminée - Infographie journal Le Monde - 2019 (13)
- Dans les années 1960, la France a jeté des fûts de déchets radioactifs dans l’Océan pour s’en délester (14) : Ces déchets ne sont pas comptabilisés alors même qu’ils présentent des risques avérés de déversement, et aucune opération de récupération n’est prévue.
- Sans oublier les conséquences des extractions qui perdurent à l’étranger pour alimenter la filière nucléaire française en uranium, dans des conditions peu soucieuses de l’environnement (15) : Des tonnes de déchets et boues radioactives ont été abandonnées, engendrant diverses pollutions et des impacts sur la santé des populations avoisinantes. C’est notamment le cas au Niger, sur le site de l’ancienne mine à Arlit exploitée par Orano, ex-Areva, pendant 40 ans, où sont entassées 20 000 tonnes de boues radioactives (16) non confinées. En plus de l’exposition à l’époque où la mine était active, ces boues exposent encore aujourd’hui la population à l’inhalation des gaz et poussières transportées par les vents violents de la région, et à l'ingestion des substances notamment via l’eau potable ou la nourriture.
☞ Point d’explication : qu'est ce que le “recyclage” des déchets nucléaires :
Le “recyclage” des déchets nucléaires est appelé le “cycle du combustible”. On parle en réalité du recyclage des combustibles usés au cours du processus qui conduit à la production d'énergie nucléaire et lors du retraitement de certains de ces combustibles usés. Comme nous l’avons vu plus haut, après leur utilisation dans les réacteurs nucléaires pendant une durée de 3 à 5 ans, les combustibles passent par une phase de refroidissement en piscine à la Hague (Manche). C’est ensuite que le “recyclage “ commence. Il est composé d’une première phase de retraitement puis de valorisation.
- Le retraitement est une étape de tri entre les matières et déchets radioactifs : ce tri est effectué entre les éléments ayant un potentiel énergétique exploitable comme l'uranium et le plutonium, que l'on considère alors comme des matières radioactives, et le reste dont on ne sait exploiter le potentiel énergétique tels que les produits de fission et les actinides (17), qualifiés de déchets radioactifs ou “déchets ultimes”. Ces derniers sont vitrifiés puis stockés en surface pour les moins radioactifs tandis que les autres sont entreposés dans l’attente d’une solution (nous parlerons plus en détails de la solution envisagée dans l'idée reçue n°3).
- A la sortie des réacteurs, le combustible usé est composé de :
- Matières radioactives (96 %) : uranium de retraitement (URT) (à environ 95 %) et plutonium (à environ 1 %).
- Déchets radioactifs/ultimes (4 %) : actinides mineurs (à 0.1 %) et produits de fission (à 4 %) qui sont eux stockés sans possibilité d’être réutilisés.
- Cette donnée fait dire à la filière nucléaire que 96 % du combustible usé est recyclable. Mais, nous allons le voir, en pratique c’est bien différent.
Le cycle du combustible nucléaire Source : ASN
☞ Voici comment l’uranium et le plutonium peuvent être en théorie valorisés (96 % du combustible usé comme précisé ci-dessus) :
- Pour l’uranium de retraitement (URT): L'uranium issu du retraitement des combustibles usés (URT) peut, une fois transformé et de nouveau enrichi, être utilisé pour fabriquer un nouveau combustible pour centrales nucléaires. On l’appelle alors de l’Uranium de retraitement enrichi (URE). Le combustible URE a pu être utilisé de 1994 à 2013 dans 4 réacteurs nucléaires certifiés (centrale de Cruas) , comme précisé ci-dessous.
- Pour le plutonium : il devient le principe actif d’un nouveau combustible pour réacteur appelé le MOX (mélange d’oxyde de plutonium et d’oxyde d’uranium) qui est un mélange d’environ 8 % de plutonium (sous-produit de la réaction nucléaire) et de 92 % d’uranium appauvri (sous-produit de l’enrichissement de l’uranium). Il est employé en France depuis 1987, dans des réacteurs qui ont été adapté et autorisés à utiliser ce combustible qui impose des contraintes supplémentaires en matière de sûreté et en termes de radioprotection notamment des travailleurs (selon les mots de l’ASN (18) ). 22 réacteurs de 900 MW ont été ainsi adaptés et autorisés à se charger en combustible MOX (à 30 % maximum de l’assemblage) mais en 2021 seuls 19 utilisent du MOX.
☞ Le “cycle” du combustible est loin d’être fermé : preuve en est, l’augmentation année après année des quantités de matières radioactives qui sont entreposées.
☞L’uranium de retraitement (URT), qui représente 95 % des combustibles usés censés être “recyclables”, n’est plus réutilisé et la filière de recyclage n’a jamais été dimensionnée pour absorber les quantités importantes de résidus de la production nucléaire :
- Seule la Russie a la capacité de ré-enrichir l’uranium de retraitement (URT) pour le convertir en nouveau combustible (Uranium de retraitement enrichi - URE) et ainsi le ré-utiliser des réacteurs : L’usine Seversk en Sibérie est la seule usine capable de “ré-enrichir” l’URT pour la transformer en URE utilisable dans des réacteurs nucléaires. La filière de recyclage de l’URT est donc totalement dépendante de la Russie.
- L’uranium de retraitement n'est plus utilisé aujourd’hui pour des raisons économiques (19) et “écologiques (20) : En effet, l’uranium de retraitement enrichi (URE) a été utilisé de 1994 à 2013, puis stoppé parce que son coût n’était pas compétitif par rapport à l’enrichissement de l’uranium naturel. De plus, il posait des questions d’ordre écologique car son retraitement est particulièrement polluant. Greenpeace avait par exemple découvert que dans la phase que ré-enrichissement de l’URT en Russie “ les résidus chimiques et radioactifs étaient directement injectés dans le sous-sol des installations sous forme liquide ”(21). Sans que l’arrêt de ces pratiques hautement néfastes pour l’environnement ne puisse être vérifié, l’envoi de lots d’URT de la France vers la Russie pour enrichissement a repris en 2021 jusqu’en octobre 2022.
- Le manque de perspective d’ampleur à l’échelle de siècle pour la valorisation de l’URT a été reconnu par l’ASN (Agence de sûreté nucléaire), qui appelle à ce qu’une partie de ces matières soit requalifiée en déchets radioactifs : Comme nous l’avons vu dans l’idée reçue n°1, l’ASN a appelé à deux reprises à requalifier une partie de l’URT en “déchets radioactifs” puisque mathématiquement ils ne pourront pas être réutilisés car “ la consommation de l'ensemble du stock est irréaliste avec les filières de valorisation envisagées à l'échelle du siècle ”.
- En l’absence de moyen de réutiliser l’uranium de retraitement ce sont 1 045 tonnes supplémentaires (22) qui chaque année sont entreposées : Cette dépendance à l'enrichissement de l’URT par une usine Russe questionne grandement la stratégie de “recyclage” de l’uranium de retraitement.
- Quand elle était pratiquée, l’utilisation de l’uranium de retraitement enrichi était infime et inefficace face aux volumes d’URT produits annuellement : En France, seuls 4 réacteurs (23) étaient habilités à utiliser le combustible URE, ce qui représentait un maigre débouché par rapport aux quantités très importantes d’URT produites annuellement. En effet, entre 1994 et 2013 environ 850 tonnes d’URT étaient produites chaque année dans les usines de la Hague (24). Sur la même période plus de 4 000 tonnes d’URT ont pu être ré-enrichies. Or, en moyenne, seulement un peu plus de 30 tonnes d’URE ont été réellement utilisées chaque année dans les réacteurs de Cruas entre 1994 et 2013 (25) avec un maximum de 72 tonnes en 2012. Le reste de l’URT non “recyclé” et d’URE non consommé a donc été stocké.
- L’envoi d’URT en Russie est aussi un moyen de se délester d’une partie des matières radioactives : Greenpeace (26) a révélé que le rendement de transformation de l’URT en URE était d’environ 10 %. Dès lors, les 90 % de matières radioactives restantes et les autres déchets produits lors du processus de ré-enrichissement ne sont pas renvoyés en France. Si cela permet de limiter la hausse des quantités d’URT stockées en France, cela n’est en aucun cas une solution de recyclage puisque l’URT non valorisé sous forme d’URE reste stocké en Russie (dans des conditions sur lesquelles nous n’avons pas de visibilité).
- La filière nucléaire souhaite tout de même relancer le “recyclage” de l’URT malgré les défis que cela pose et la dépendance à la Russie : Alors que les raisons qui avaient poussé à l’arrêt de l’utilisation de l’uranium de retraitement n’ont pas fondamentalement changé (27), EDF a annoncé qu’elle allait avoir de nouveau recours à l’URE à partir de 2023. Au-delà des 4 réacteurs de Cruas, EDF souhaite qu’entre 2028 à 2032 trois réacteurs de 1300 MW soit eux aussi habilités à utiliser de l’URE. Ces trois réacteurs auront besoin de l’accord de l’ASN, ce qui n’est pas acquis, et EDF table sur des projections élevées d’utilisation d’URE. Se posera de nouveau la question de la pertinence économique et du coût environnemental d’avoir recours à cet URE (précisons que la Cour des comptes en 2019 a révélé que EDF envisageait d’avoir recours à l’entreprise Russe Tenex pour la phase d'enrichissement, “dont les pratiques environnementales avaient été sévèrement critiquées” avant l’arrêt de l’enrichissement de l’URT en 2013). C’est à ces conditions que le “recyclage” de l’URT pourrait être relancé.
☞ Le recyclage du plutonium (les 1 % du combustible usé) et de l’uranium appauvri via la création du combustible MOX, seul débouché actuel pour les matières radioactives, est résiduel par rapport au flux de matières :
- En plus de 40 ans seules 80 tonnes de plutonium ont été ré-utilisées via le MOX, et le stock de plutonium continue d’augmenter : D’après l’IRSN (28), depuis 1987, année où certains réacteurs nucléaires ont commencé à utiliser du MOX, environ 3 000 assemblages MOX ont été chargés en réacteur (la plupart après 1997), ce qui correspond au recyclage d’environ 80 tonnes de plutonium. Ce chiffre est à mettre en parallèle des 10 tonnes de plutonium qui sont produits chaque année par les réacteurs nucléaires. Le stock de plutonium a même augmenté entre fin 2019 (29) et fin 2021 (30) passant de 58 tonnes à 65 tonnes. L’ASN , note en effet que le combustible MOX ne représente qu’une “faible partie de la production” et que le “ système n’étant pas équilibré, le stock de plutonium augmente ” (31). Cela signifie que sur les 1 % du combustible usé qui sont du plutonium, la totalité n’est pas “ recyclée ”.
- En réalité, le MOX ne permet de substituer que moins de 10 % d’uranium naturel enrichi : Comme nous l’avons vu plus haut, pour des mesures de sûreté, le chargement du combustible de MOX dans le réacteur est limité à 30 % des assemblages et dans seulement 22 réacteurs, c’est-à-dire dans seulement environ 30 % du parc. L’ASN estime que 120 tonnes de MOX sont utilisés chaque année sur un total de 1120 tonnes de combustibles nucléaires (cf le graphique sur le cycle du combustible situé plus haut). Selon ces chiffres, le MOX représente environ 10 % du combustible utilisé dans les réacteurs, en substitution de l’uranium naturel enrichi. Néanmoins ce chiffre a diminué ces dernières années puisque seuls 19 réacteurs utilisaient du MOX en 2021, et que l’usine Melox a connu des difficultés techniques récurrentes depuis 2015 avec par exemple en 2021 une production de seulement 51 tonnes de MOX (32). De plus, Orano, qui est l’entreprise chargée de la production de MOX, espère atteindre en 2025 une production de 100 tonnes de MOX par an, en deçà des 120 tonnes mentionnés par l’ASN. Le MOX, en substitution de l’uranium naturel enrichi, n’est donc utilisé qu’à moins de 10 % dans les réacteurs nucléaires et les perspectives d’augmentation sont frileuses.
- L’économie en uranium naturel réalisée grâce au MOX en plus de 40 ans est faible : L’IRSN (33) en 2012 notait que depuis le début de la production de MOX, ce combustible a représenté une économie d’environ 8 000 tonnes d’uranium naturel et aujourd’hui il permet d’économiser environ 900 tonnes d’uranium naturel par an. Pris de manière brute ces chiffres peuvent sembler élevés. Néanmoins, il faut noter que les réacteurs nucléaires ont besoin chaque année de 8 500 tonnes d’uranium naturel. En plus de 40 ans, le MOX n’a permis d’économiser que l’équivalent d’une année de consommation d’uranium naturel. Le retraitement des déchets ne présente donc, au moins à court et moyen terme, pas d'intérêt du point de vue de la sécurisation de l'approvisionnement, du fait du peu de quantité de matières effectivement utilisées en remplacement de l’uranium naturel.
- Seul 1.5 % de l’uranium appauvri est utilisé dans le MOX, le reste est entreposé : d’après le schéma de l’ASN, 8 500 tonnes d’uranium naturel ne permettent de générer annuellement que 1 000 tonnes d’uranium enrichi et créé en conséquence 7 500 tonnes d’uranium appauvri. Et seules 110 tonnes d’uranium appauvri sont utilisées dans le MOX soit seulement 1.5 % de l’uranium appauvri réellement utilisé. Le reste est entreposé.
- Le manque de perspective d’ampleur pour la valorisation de l’Uranium appauvri a été reconnu par l’ASN, qui appelle à ce qu’une partie substantielle de ces matières soient requalifiées en déchets radioactifs : Comme nous l’avons vu dans l’idée reçue n°1, l’ASN a également appelé à ce qu’une quantité substantielle d’uranium appauvri soit requalifié “déchets radioactifs”.
- “Recyclage” ne veut pas dire que les matières disparaissent : Le MOX ne disparaît pas, il permet simplement de valoriser une substance au potentiel énergétique, le plutonium et l’uranium appauvri, une fois seulement, et devient après utilisation du MOX usé, qu’il faut refroidir puis entreposer. D’ailleurs, le temps nécessaire au refroidissement des combustibles MOX usés est supérieur de plusieurs décennies à celui du refroidissement de combustibles UNE (uranium naturel enrichi) usés (34).
- L’enjeu du renouvellement des réacteurs utilisant du MOX : Les réacteurs de 900 MW, seuls autorisés à utiliser du MOX sont aussi les réacteurs les plus anciens. La PPE (Programmation pluriannuelle de l’énergie) actuelle prévoit la fermeture de 12 de ces réacteurs entre 2029-2035. Adapter d’autres réacteurs pour remplacer la fermeture des anciens pose des défis sur les plans économiques (coût élevé) et du point de vue de la sûreté, puisqu’il faut l’accord de l’ASN. Dès lors, le projet de “moxer” d’autres réacteurs nucléaires pour continuer à consommer du MOX dans les mêmes proportions est loin d’être acquis.
- La production de MOX rencontre des difficultés ce qui engendre une saturation des sites d’entreposage : L’unique usine de fabrication du combustible MOX, l’usine MELOX, a connu des difficultés d’exploitation depuis 2018, conduisant à une production de MOX inférieure à celle anticipée par la filière nucléaire (35). Cela a aussi généré une quantité importante de rebuts de MOX non conformes et donc non utilisables. Ils ont donc été entreposés. Comme le précise l’ASN dans son rapport de 2022 (36), cela entraîne une “saturation à court terme des entreposages de plutonium”. Ces difficultés pourraient induire des “conséquences majeures sur l’ensemble du “cycle du combustible” et la production électronucléaire française”.
- Le recyclage du plutonium ne réduit pas la “toxicité” des déchets : La teneur de plutonium dans le MOX usé est inférieure à celle du MOX neuf. On estime qu’il reste encore 80 % du plutonium initial dans le MOX usé. Cela signifie tout de même qu’un peu de plutonium a été consommé lors du passage dans le réacteur. Néanmoins, après son utilisation, le MOX usé est plus radioactif qu’auparavant et doit aussi être stocké. De ce fait, la valorisation du plutonium dans le MOX n’est pas une bonne solution pour réduire le stock de plutonium (37). Si le multi-recyclage était pratiqué, ce qui est aujourd'hui techniquement et financièrement difficile, il faudrait effectuer un nombre conséquent de recyclage, environ 20 (38), pour faire tomber à 1 % la concentration en plutonium, ce qui limite fortement la crédibilité de cette option (39).
- En conclusion, seulement moins d’1 % des combustibles usés (les 10 t de plutonium/an) est recyclé, loin des 96 % de matières radioactives dites “recyclables”.
☞ Enfin, la filière nucléaire met régulièrement en avant le fait que “10 % d’électricité nucléaire est produite à partir de matières recyclées”, mais qui masque la réalité du cycle du combustible :
- Pour arriver à ce résultat, la filière nucléaire prend l’ensemble du combustible MOX utilisé chaque année (120 tonnes dont 110 tonnes d’uranium appauvri) et le rapporte seulement à la quantité de combustible introduite dans le réacteur (1 120 tonnes dont 1 000 tonnes d'uranium enrichi), ce qui fait effectivement environ 10 %. En somme, ce calcul ne prend en compte que le combustible final introduit dans le réacteur.
- Néanmoins, ce calcul ne prend pas en compte le fait que pour produire les 1 000 tonnes d’uranium enrichi, qui font fonctionner les réacteurs, il a fallu 8 500 tonnes d’uranium naturel, créant par la même 7 500 tonnes d'uranium appauvri dont seulement 1.5 % sont ré-utilisés dans le MOX. Il semble donc malhonnête de ne tenir compte que de l’uranium appauvri valorisé dans le MOX.
- Le calcul complet consiste à regarder la part de matière ré-utilisée (les 120 tonnes de MOX) par rapport à la quantité de matière nécessaire pour alimenter les réacteurs (8 500 tonnes d’uranium naturel) : le calcul est donc tout autre : 120 tonnes (MOX) / 8 500 tonnes (uranium naturel) = 0.014 soit 1.4 %. Donc seulement 1.4 % de la matière utilisée tout au long du processus permettant de produire de l’électricité nucléaire est recyclée
- Faute de débouchés efficaces et dimensionnés à l’échelle du parc, la filière de retraitement se solde par une accumulation de matières radioactives à chaque étape de “recyclage”.
☞ Remarque : Il ne faut pas oublier le reste des déchets produits (hors combustibles usés) qui ne sont aucunement recyclés :
si le combustible usé concentre l’essentiel de la radioactivité produite par la production nucléaire, il ne représente qu’une faible partie de la masse des déchets de l’industrie nucléaire. L’essentiel du volume des déchets est composé des déchets à très faible, faible et moyenne activité (dont nous avons parlé dans l’idée reçue n°1) issus de l'exploitation des centrales, de leur maintenance et les installations nucléaires elles-mêmes, après leur démantèlement.
☞ Le retraitement des combustibles usés ne permet de réduire que faiblement le volume des déchets produits :
Le retraitement engendre une quantité importante de déchets radioactifs de moyenne activité à vie longue (MA-VL), principalement les gaines qui entourent le combustible et les structures qui les assemblent. Ces éléments sont ensuite compactés ou vitrifiés pour être mis sous la forme de colis, divisant leur volume initial par 5. Néanmoins, un rapport de Jean-Claude Zerbib (40), ancien ingénieur en radioprotection au CEA (Commissariat à l’énergie atomique) et membre de Global Chance (association environnementaliste rassemblant scientifiques et experts), a montré que si l’on comparait le volume d’un assemblage de combustible usé et le volume correspondant de colis produit après retraitement, en intégrant à la fois le volume du contenu et du contenant, le volume n’est divisé que par 1,4.
☞ Une autre solution, le Réacteur à Neutron Rapide (RNR) ?
- Une autre solution, le Réacteur à Neutron Rapide (RNR), a été envisagée pour recycler une part substantielle de matières radioactives, mais elle s’est soldée par un échec. La technologie des RNR a théoriquement plusieurs avantages : elle permettrait d’utiliser la totalité d’un caillou d’uranium naturel, de valoriser l’uranium appauvri et d’utiliser une partie du combustible usé par les réacteurs actuels (41). Cela permettrait de se passer de la phase d’enrichissement de l’uranium naturel qui est très coûteuse.
- Le RNR représente néanmoins des enjeux considérables de sûreté : En effet, le liquide caloporteur qui transfère la chaleur du réacteur vers le générateur d'électricité, n’est pas l’eau comme pour les réacteurs classique, mais du sodium liquide, qui est très inflammable au contact de l’air et explose au contact de l’eau. Des précautions différentes doivent donc être prises.
- Plusieurs projets de RNR ont été menés et ont été confrontés à des difficultés techniques et un manque de compétitivité économique : Le développement de la technologie RNR s’est traduite par plusieurs projets, le premier réacteur expérimental Rapsodie (20 MW thermique (42)) a été mis en service en 1967, suivi du lancement du prototype Phénix (250 MW électrique) raccordé au réseau en 1973 et enfin le réacteur Superphénix (1240 MW électrique). Ce dernier a été mis en service en 1984 et son but était de démontrer la faisabilité pour un RNR de produire de l’électricité de manière industrielle. Néanmoins, des problèmes techniques et des fuites accidentelles de sodium ont mené à de nombreux arrêts prolongés du réacteur. Finalement, en 1997 le gouvernement Jospin décide de l’arrêt définitif du réacteur. Le projet aura coûté 12 milliards d’euros au total (43). C’est ensuite le projet Astrid qui voit le jour en 2010. Celui-ci vise à démontrer la possibilité de développement industriel du RNR, mais sur un réacteur moins puissant de 600 MWe et finalement de seulement 200 MWe. Le projet est néanmoins suspendu en 2019, les coûts n'apparaissant pas compétitifs par rapport à d’autres types d'énergie et dans le contexte des déboires de l’EPR de Flamanville. Les recherches au CEA (Centre de l’énergie atomique) sur un réacteur RNR perdurent cependant et la filière nucléaire continue à projeter beaucoup d’espoir dans cette technologie. Le CEA affiche par exemple explicitement que sa stratégie à long terme repose sur la mise en oeuvre de RNR dans le but d’une “ fermeture complète du cycle du combustible nucléaire ”(44).
- Nous sommes encore très loin du déploiement à l’échelle industrielle du RNR qui présente des défis considérables : Son déploiement industriel n’interviendrait que dans la deuxième moitié du siècle (45), si l’on suit les trajectoires proposées par l’actuelle Programmation Pluriannuelle de l'Énergie et devra alors faire la preuve de son intérêt. Comme le note les experts de Global Chance, association environnementaliste rassemblant scientifiques et experts, c’est aussi un pari risqué sur le plan technique et économique “qui implique la possibilité d’un échec qui pourrait créer une situation plus difficile encore que celle du scénario précédent”(46).
- Même dans le cas d’un déploiement de réacteurs RNR couplé au renouvellement d’un parc nucléaire classique, cela ne résoudrait pas le problème de la quantité de matières et déchets radioactifs : Dans l’hypothèse du déploiement de RNR couplé au renouvellement du parc nucléaire actuel, plusieurs experts ont émis un avis très critique sur les stratégies prospectives de gestion des déchets nucléaires. Différents scénarios avaient en effet été présentés et débattus dans le cadre du débat public sur les déchets nucléaires de 2005. Après analyses, il semblerait que miser sur des RNR “ne résout que partiellement le problème d’inventaire” (47), c’est-à-dire le problème de la quantité de matières et déchets entreposés. Plusieurs raisons ont ainsi été identifiées, parmi lesquelles : 1/ Le fait que les réacteurs classiques, qui composeraient également le parc nucléaire, continueraient de produire un flux considérable de matières et déchets. 2/Le RNR ne propose pas de solution pour l’uranium de retraitement, qui représente 95 % des combustibles usés, alors que le renouvellement du parc nucléaire en augmenterait la quantité produite (48). 3/ Le cycle du combustible ne serait dans tous les cas pas fermé car les RNR ne permettent pas de réduire les stocks et les flux de déchets radioactifs, puisqu’ils ne traitent par exemple pas les produits de fission (qui correspondent à 4 % du combustible usé).
- En dépit de son efficacité contestable, la filière de recyclage des matières radioactives a une fonction idéologique clé : légitimer le maintien d’une filière nucléaire produisant des quantités importantes de matières et déchets radioactifs : La filière actuelle de recyclage, et les projets comme le RNR, malgré leur inefficacité manifeste, sont mis en avant par la filière dans le sens où ils permettent d’éviter la requalification de l’immense quantité de matières radioactives en déchets. De plus, ils entretiennent le mythe de la “ fermeture du cycle ” et donc de la soutenabilité de toute la filière nucléaire. Cet horizon légitime ainsi la poursuite de la production de déchets et matières, et a fortiori de la relance d’un programme nucléaire, en laissant croire que demain la gestion des déchets nucléaires ne sera plus un problème. Comme le résume le journaliste Antoine de Ravignan, ce sont “ des pistes dont on ne sait si elles aboutiront sur le plan industriel mais qui, de facto, contribuent à faire rouler indéfiniment le nucléaire présent, en lui inventant sans cesse des futurs qui s’éloignent au fur et à mesure que l’on avance . (..) Des « pistes qui brouillent les pistes »” (49).
- Remarque : Il n’existe pas aujourd’hui d’étude prospective de l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) sur la quantité exacte de matières et déchets radioactifs produits si une relance du nucléaire était décidée. Cette donnée semble pourtant cruciale pour établir un avis éclairé sur la question.
☞ Il n’existe pas de solution satisfaisante pour stocker de manière sécurisée et viable les déchets les plus radioactifs :
La solution aujourd'hui mise en avant en France pour stocker “définitivement” les déchets de Haute Activité (HA) et de Moyenne Activité à Vie Longue (MA-VL) est le stockage en couche géologique profonde, appelé Cigéo (Centre industriel de stockage géologique), qui est prévu à Bure (Meuse). Cigéo, c'est 270 km de galeries situées à 500 mètres sous terre. La phase dite d’”exploitation” durerait une centaine d'années, jusqu’à ce que le site de stockage soit rendu définitivement inaccessible.
☞ L’enfouissement n’est pas une solution réversible, en cas d’accident nous serions incapables de récupérer les éléments stockés :
Les ONG comme France Nature Environnement (50) et Greenpeace (51) sont critiques sur la réversibilité du projet Cigéo pendant la phase d’exploitation. La loi de 2006, relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs, définit que la notion de réversibilité correspond à la possibilité sur une durée d’au moins 100 ans de changer d’avis, en ne fermant pas l’accès au stockage. Or, les expériences étrangères de stockage souterrain ont montré qu’il est difficile de garantir cette réversibilité, surtout dans le cas d’un accident, toujours probable, qui empêcherait de récupérer les colis de déchets radioactifs. Les galeries de Cigéo sont sujettes au risque d’incendie et d’explosion, en phase d’exploitation, mais également après la fermeture du stockage. L’ASN indiquait en 2018 (52) que, malgré des progrès, le dossier d’option de sûreté de Cigéo “ apporte peu d’éléments concernant les modalités selon lesquelles l’Andra compte assurer une surveillance adaptée aux exigences de sûreté”. Ceci interroge la conception même du projet.
☞ Le projet Cigéo est entaché de graves manquements en termes de transparence et de démocratie :
Le projet s’est implanté et se poursuit au mépris de la démocratie, suscitant un fort rejet de la population et l’organisation d’une résistance active (53). Les débats publics qui ont eu lieu en 2005 sur les options générales de gestion des déchets radioactifs puis en 2013 sur Cigéo ont été des échecs. En effet, les conclusions des débats n’ont pas été prises en compte par les pouvoirs publics dans la décision finale. La CNDP aborde d’ailleurs cet aspect en toute transparence dans sa note de retour d’expérience sur 17 années de débats publics (54).
☞ Un projet qui nuit aux générations futures :
Les opposants au projet dénoncent le fait que Cigéo ne respecte pas le droit des générations futures à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, qui a été reconnu comme liberté fondamentale(55), ni même le principe de fraternité entre les générations. Ces méthodes au-delà d’être discutables sur le plan éthique, ne sont pas matures.
☞ Un projet coûteux :
Le coût du projet a été fixé par arrêté ministériel à 25 milliards d’euros en 2016. La Cour des comptes (56) appelait toutefois à la vigilance sur le coût du chantier, soulignant les incertitudes fortes qui entourent ce projet.
☞ L’enfouissement n’est pas l’unique option :
- Si Cigéo est présenté comme la “solution de référence”, elle est en réalité la seule option étudiée sérieusement (57) en France, ce qui a, de fait, limité le champ des possibles. La loi Bataille de 1991 sur la gestion des déchets prévoyait pourtant plusieurs laboratoires pour étudier diverses solutions.
- Certains opposants à de Cigéo proposent plutôt de continuer l’enfouissement en surface ou faiblement enterré, c’est-à-dire dans des installations réversibles, tout en poursuivant la recherche pour essayer de trouver une solution satisfaisante sur le long terme.
Sources
(1) Article L 542-1-1 du Code de l’environnement
(2) source : Inventaire national des matières et déchets radioactifs 2021 - Andra
(3) source : Inventaire national des matières et déchets radioactifs 2023 - Andra
(4) https://www.orano.group/fr/decodage/dechets-radioactifs
(5) Gestion des déchets nucléaires - Note de positionnement - France Nature Environnement - 2017
(6) https://www.asn.fr/l-asn-informe/dossiers-pedagogiques/la-surete-du-cycle-du-combustible
(7) https://www.asn.fr/lexique/C/criticite
(8) Avis n° 2020-AV-0363 de l’Autorité de sûreté nucléaire du 8 octobre 2020 sur les études concernant la gestion des matières radioactives et l’évaluation de leur caractère valorisable remises en application du plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs 2016-2018
(9) Avis n° CODEP-CLG-2022-061286 du Président de l’ASN du 14 décembre 2022 relatif aux rapports remis par les exploitants d’installations nucléaires de base en application des articles L. 594-1 à L. 594-13 du code de l’environnement, publié le 6 février 2023
(10) Pour aller plus loin sur le sujet : un article du Monde et l’Atlas de l’Uranium.
(11) Selon l’ASN, les gisements sont en voie d’épuisement ou n’offrent plus de conditions d’exploitation satisfaisantes économiquement. source :https://www.asn.fr/l-asn-informe/dossiers-pedagogiques/la-surete-du-cycle-du-combustible
(13) À retrouver dans cet article du Monde “Le lent poison des déchets radioactifs « oubliés » qui contaminent les sols français” par Pierre Le Hir
(14) Pour aller plus loin : https://www.youtube.com/watch?v=0llbDGLUjNY
(15) Pour plus d’information sur l’extraction de l’uranium à l’étranger et ses conséquences : https://reporterre.net/IMG/pdf/uraniumatlas2022_fr_web.pdf
(17) https://www.asn.fr/lexique/a/Actinides
(18) L’ASN indique que l’utilisation du MOX “nécessite des précautions particulières, notamment en termes de radioprotection des travailleurs, dans la fabrication du combustible MOX, son transport et son utilisation en réacteur.” A noter qu’en cas de fusion des combustibles le risque d'emballement de la réaction en chaîne est plus grand en raison de la plus grande présence de plutonium (dont la température de fusion est plus basse que l’uranium accentuant le risque de fusion du cœur du réacteur).
(19) https://www.asn.fr/l-asn-informe/dossiers-pedagogiques/la-surete-du-cycle-du-combustible
(20) Présentation du cycle du combustible français en 2018 - Haut comité à la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire - juillet 2018 p.6
(21) Déchets nucléaires français : Aller simple pour la Sibérie - Greenpeace - octobre 2021
(22) La SFEN en 2022 donnait des chiffres plus récents “EDF possède un stock d’environ 25 000 tonnes d’URT, et celui-ci s’accroît d’environ 1 045 tonnes par an”
(23) A noter qu'avant 2010, seules 2 réacteurs pouvaient fonctionner avec de l’URE
(27) Nucléaire : Stop ou encore ? - Antoine de Ravignan - Les petits matins - Institut Veblen - 2022 p.166
(28) https://www.irsn.fr/savoir-comprendre/surete/combustible-mox-france
(29 -30) Inventaire national des matières et déchets radioactifs - Essentiels 2021 - Andra
(31) https://www.asn.fr/l-asn-informe/dossiers-pedagogiques/la-surete-du-cycle-du-combustible
(32) Rapport d’information du site “Orano Melox” - Edition 2022 p.7
(33) https://www.irsn.fr/savoir-comprendre/surete/cycle-mox-france
(35) EDF, Orano Cycle et l’Andra ont en effet établi en 2016 un plan baptisé “Impact Cycle 2016” présentant pour la période 2015-2025, les évolutions envisagées des gestions de combustible. Or, comme le note l'IRSN, la production effective de MOX depuis 2018 est en deçà des hypothèses envisagées dans ce plan.
(36) https://www.asn.fr/annual_report/2022fr/89/#zoom=true p.88-89
(37) Usines de retraitement des combustibles irradiés de La Hague et leurs problèmes - Rapport à la Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires - Jean-Claude Zerbib (Global Chance) -31 mai 2018
(38) Selon Benjamin Dessus ingénieur et économiste, fondateur de l'association Global Chance dans cet article
(40) Usines de retraitement des combustibles irradiés de La Hague et leurs problèmes - Rapport à la Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires - Jean-Claude Zerbib (Global Chance) -31 mai 2018
(41) Les réacteurs actuels n'utilisent en réalité que 0.7 % d’un caillou d'uranium naturel, l’isotope d’uranium 235 (qui est ensuite enrichi). Le RNR permettrait de valoriser l’isotope d’uranium 238 présent à 99.3 % dans l’uranium naturel mais aussi dans l’uranium appauvri (produit lors de la phase d’enrichissement), dont les stocks sont actuellement de 324 000 tonnes. On retrouve également l’uranium 238 dans le combustible usé des réacteurs classique qui pourrait ainsi être valorisé. Cela permettrait de limiter l’extraction minière d’uranium et de valoriser des matières aujourd’hui pas ou très peu valorisées. Il permettrait d'effectuer le multi-recyclage du plutonium, aujourd’hui utilisé une seule fois sous forme de MOX et pourrait réduire la toxicité des actinides mineurs (déchets radioactifs). Les recherches sur la technologie RNR ont débuté dès la fin des années 1950 et il est présenté comme l’avenir énergétique de la France et comme l’espoir du bouclage du cycle de combustible.
(42) Pour en savoir plus sur la signification du MW thermique et du MWe : https://www.connaissancedesenergies.org/questions-et-reponses-energies/nucleaire-quelle-est-la-difference-entre-puissance-brute-et-puissance-nette
(43) Rapport de la cour des comptes de 2012 sur les coûts de la filière électro-nucléaire cité par la Banque des Territoires
(44 - 45) Dossier le choix stratégique du cycle fermé - CEA - Juillet 2021
(46 - 47 - 48) Contribution au débat public sur les déchets radioactifs – Analyse contradictoire – Benjamin Dessus, Bernard Laponche, Yves Marignac
(49) Nucléaire : Stop ou encore ? - Antoine de Ravignan - Les petits matins - Institut Veblen - 2022 p.57
(50) https://fne.asso.fr/dossiers/enfouissement-des-dechets-nucleaires-en-profondeur-un-desastre-annonce
(51) https://www.greenpeace.fr/dechets-nucleaires-projet-cigeo-a-bure-etre-stoppe/
(52) https://www.asn.fr/l-asn-informe/actualites/avis-de-l-asn-sur-les-options-de-surete-de-cigeo
(53) La bande-dessinée-enquête “Cent Mille Ans” de Gaspard D' Allens et Pierre Bonneau (éditions Seuil) retrace la contestation locale et la manière dont le projet Cigéo avance au mépris de la démocratie.
(54) Eclairage - Nucléaire : les enseignements de 17 ans de débats publics et concertations - février 2022
(56) Rapport sur l’aval du cycle du combustible nucléaire. Les matières et les déchets radioactifs de la sortie du réacteur au stockage - Cour des Comptes - 2019
(57) Contribution au débat public sur les déchets radioactifs – Analyse contradictoire – Benjamin Dessus, Bernard Laponche, Yves Marignac- juillet 2005